top of page

🔥 DANDELION

(EXTRAIT DE TEXTE DE AUDE FELLAY)

"L’intérieur a perdu de son attrait. Il n’est plus espace d’introspection, mais espace paranoïaque. Flora Mottini et Camille Bühler s’y accrochent pourtant. Les deux artistes ont investi La Ferme de la Chapelle comme on investit un lieu de vie : rideaux, tapis, vaisselier, boudoir. Pour point de départ, Mona Chollet et son Chez Soi, paru avant que la pandémie nous confine à l’espace domestique[1]. L’autrice y délibère des vertus de nos vies intérieures. Au premier abord donc, l’exposition joue de la convergence entre espace intime et intériorité. Pourtant, ce qui réunit les deux artistes, c’est moins un attachement à l’intérieur comme espace-cocon ou « moule psychologique », qu’une même volonté d’échapper au réel pour mieux, en fin de compte, l’augmenter. 

Pour Camille Bühler, il s’agit de se soustraire au regard, de se défaire des identités projetées en jouant avec la fétichisation des corps genrés, racisés, violentés par un gaze – male, blanc[2]. Les vases d’abord, ces objets familiers ici habillés de cuir qui empruntent leur titre à Beyoncé (I got hot sauce in my bag). En les imaginant sacs, Camille fait écho à un court texte d’Ursula K. Le Guin dans lequel la célèbre autrice de science-fiction fait du contenant, voire du sac (à main), le premier objet de l’Humanité, détrônant par là l’Histoire virile à laquelle les armes du chasseur aurait donné naissance. Ses vases fétiches incarnent ainsi d’autres récits, d’autres identités, « prosthétiques » et non plus sociales, issues de fusions partielles ou complètes avec l’objet. 

Les images au mur dans le foyer évoquent les portraits de famille qui tapissent les salons (Home sweet homies series). Filtrée par les codes de la photographie de mode, la série oppose au modèle nucléaire une famille « contre-nature » liée par l’artifice. Enfin, au dernier étage, un peignoir et deux boucles d’oreille géantes rappellent la chambre à coucher. Gravés à l’intérieur de l’huître-bijou (A pearl fetish), les mots 

« you are mine » semblent dire l’urgence de posséder les objets dont on revêt le corps à défaut de décider des mots qu’on lui appose. Mais ils disent, aussi, les rapports de domination à l’oeuvre dans l’exotisation des corps non blancs, qu’évoquent les extensions capillaires ou encore le motif « tribal » brodé au dos du peignoir (Bathrobe). Camille Bühler tente ici à la fois de rendre compte de l’ubiquité des gestes d’appropriation et de s’extirper de l’histoire coloniale qui fonde notre « désaveu de l’objet[3] ». "

[1] Mona Chollet, Chez soi. Une odyssée de l’espace domestique, Paris, Zones, 2015.

[2] Littéralement « regard masculin », le « male gaze « est une notion théorisée dans le champ du cinéma par Laura Mulvey en 1975. Le terme renvoie aux rapports genrés et de domination institués par un regard exclusivement masculin et hétérosexuel.

[3] Peter Stallybrass : « The fetish as a concept was elaborated to demonize the supposedly arbitrary attachment of West Africans to material objects. The European subject was constituted in opposition to a demonized fetishism through the disavowal of the object. « Stallybrass, «Marx’s Coat» inPatricia Spyer (dir.), Border Fetishisms, New York, Routledge, 1998, p. 185.

bottom of page